Parce que je sais intimement cette douleur, et que certaines femmes dont les bébés n’ont pas vu le jour peuvent, comme moi, s’intéresser malgré tout aux bébés des autres et venir sur ce blog, je voudrais leur rendre hommage et leur faire une place dans mon univers…
Hommage spécial d’abord à ma mère qui, à plus de 100 ans, pensait encore si souvent à ce bébé décédé à l’accouchement, à la douleur de revenir de la maternité les mains vides ! Il n’y avait à l’époque aucune piste pour comprendre ce qui s’était passé, aucune prise en charge psychologique, et il lui a fallu reprendre aussitôt son rôle de mère des 4 ainés sans se plaindre, sans être aidée
Il s’agit de beaucoup de situations différentes :
– Il y a celles qui n’ont pas trouvé le père qu’elles souhaitaient ;
– celles qui, malgré leurs efforts, n’ont jamais réussi à concrétiser leur désir d’enfant ;
– celles qui ont ressenti ce désir trop tard, ou trop repoussé le moment en donnant priorité à leur carrière ;
– celles qui ont perdu un enfant pendant la grossesse, avant même de le connaitre,
– et aussi celles qui ont vécu le pire, et n’ont connu leur enfant que quelques heures, jours ou semaine….ou, comme ma mère, n’ont pas eu le temps de le tenir dans leurs bras, même un instant !
Pour les autres, les bienheureuses qui sont ou seront mamans, je voudrais vous faire partager quelques pistes de réflexion pour éviter de remuer le couteau dans la plaie de celles qui souffrent du manque d’enfant.
Toutes les histoires sont différentes : âge, couple, culture, famille, circonstances. Certes la douleur ne se mesure pas, ne se compare pas. Mais je ne connais pas de femmes ayant souhaité un bébé, attendu, espéré une grossesse, pour finalement se retrouver les bras vides, qui ne ressentent pas ce manque chaque fois qu’elles voient une femme enceinte, chaque fois qu’on leur annonce une grossesse, chaque fois qu’elles voient un bébé avec sa maman.
Dans cet article un peu plus long que d’habitude, je voudrais témoigner pour une fois de mon cas personnel, ce que je fais rarement, mais qui n’est sûrement pas unique.
A plus de 70 ans, je peux dire que c’est une douleur assumée, certes, mais encore extrêmement présente. Il n’y a pas de jour sans que je sois à un moment ou à un autre envahie par cette vague de tristesse : « comment est-ce possible que ça me soit vraiment arrivé, à moi ? » et même si les années de travail sur soi m’ont permis de continuer à me réjouir pour les mamans, et de vivre sereinement ma passion pour les enfants et leur développement, je sais que je resterai jusqu’à mon dernier jour avec cette interrogation, cette tristesse, ce vide autant physique que psychique.
Je voudrais vous livrer ici quelques exemples de situations difficiles que j’ai vécues moi-même :
– Dans les familles ou les groupes d’amis, les mamans et les futures mamans ont tendance à se regrouper, à ne parler que de leurs expériences de maternité : grossesse, accouchement, vie avec les tout-petits. Ce sont des sujets si forts, si marquants dans une vie, que c’est bien normal ! Mais si vous pouvez, pensez à la douleur (masquée sous les sourires forcés), de celles qui se sentent exclues de ce cercle tout en ayant tellement envie, besoin d’en faire partie ! Petit conseil, faites attention à elles, sans condescendance toutefois, essayez d’être discrètes, changez de sujet si vous pouvez, soyez-y attentives. Et restez positive si votre soeur, amie, belle-soeur a encore de l’espoir. Evitez les phrases du genre : « au moins toi, tu as moins de soucis »! « Quelle chance tu as de pouvoir faire la grasse-mat' » etc…
– Si vous devez annoncer une grossesse, faites-le avec joie, mais avec sobriété, certaines futures mamans ont parfois l’air un peu trop « triomphant », comme une revanche….sur leurs peurs peut-être ?
– Tout au long de votre grossesse, puis pour les visites à la maternité, et dans les premiers mois, essayez de comprendre la difficulté pour certaines de venir vous voir. N’en voulez pas à votre meilleure amie de ne pas se précipiter à la maternité, elle qui rêve que ça lui arrive ! Même si sincèrement elles se réjouit pour vous, il faut parfois un peu de temps pour surmonter la douleur, repousser la jalousie, ne plus ressentir ce coup de poignard en vous voyant avec votre nouveau-né…
– Quand une jeune femme dit (pour masquer sa douleur ou ne pas avoir à donner d’explications, assez rarement par conviction) : « on peut très bien vivre sans enfant ! », j’ai souvent remarqué la facilité avec laquelle les autres s’en satisfont, soulagés qu’elle le prenne si bien !
– Parfois l’entourage crée une légende bien pratique, et juge vite qu’une femme, un couple ne veut pas d’enfant. On les traite même parfois d’égoistes, (quid de la conscience écologique, ils seront peut-être célébrés en héros dans l’avenir !) sans penser qu’en fait ils galèrent depuis des mois en essayant courageusement, désespérement parfois, que la médecine moderne les aide, avec son lot d’attentes et de déceptions répétées chaque mois ; avec souvent dégradation de sa propre image pour la femme, et du couple aussi, chacun ayant du mal parfois à exprimer son vrai désir, soit de continuer soit d’arrêter, de peur de blesser l’autre encore, cercle vicieux…
– A une période où pour moi la douleur était récente, et vive, une de mes amies n’a pas imaginé, je pense, la douleur et la colère qu’elle a provoqué en me demandant de l’accompagner à la maternité pour accoucher, en l’absence du papa. Ce que j’ai refusé ! Je n’en suis pas fière, car elle a dû se débrouiller seule, mais ça m’a vraiment paru insurmontable sur le moment ! Une autre, déjà mère de famille, m’a demandé de l’accompagner à l’hôpital pour un avortement !
Ces 2 amies me voyaient seulement comme amie disponible, leur demande était un signe de confiance, je ne leur en veux pas, mais la douleur était là, avec en plus l’impression qu’elles avaient complètement oublié ou minimisé mon état de manque !
– Autre situation, que j’ai plusieurs fois connue….la garde de petits, parfois sur des semaines entières, et la grande solitude qui s’ensuit. Quand les enfants retrouvent leurs parents, brutalement vous n’existez plus, et même après de très bons moments, les petits vous rejettent, comme si vous les aviez raptés et que vous étiez responsable de la séparation avec leurs parents ! C’est normal, mais c’est dur, surtout quand les parents ne s’en rendent pas compte ! J’ai souvenir d’un quai de gare sur lequel, en moins de 2 minutes, je me suis retrouvée seule avec ma valise, après une semaine bien remplie et tendre avec 3 petits . Impression de vide sidéral, et sans aucune question de la part des parents pressés, sans avoir le temps de raconter quoique ce soit, et avec à peine un bisou vite fait ! C’est une situation toujours frustrante, mais, bien sûr, d’autant plus qu’on est soi-même dans le manque.
– Il y a aussi celles qui en font trop, en vous rappelant sans cesse que vous êtes différente, que » ma pauvre… », en mettant en scène des annonces de grossesse de façon théatrale !….j’ai pris le parti d’en rire !
– Et toutes les petites phrases en apparence anodines, pour le moins maladroites, mais terriblement blessantes comme « tu ne peux pas comprendre.. », ou pire, « quelle chance tu as de ne pas avoir ces soucis-là .. » etc….Pas les soucis, pas la fatigue du quotidien certes, mais pas non plus les joies, les câlins, l’amour, le bonheur de voir se former au jour le jour une personnalité, de l’accompagner dans ses échecs et de s’émerveiller de ses réussites.
A l’heure actuelle, la révolution médicale (c’en est une !) permet aux femmes d’avoir un enfant sans l’intervention directe d’un homme, mais elles sont souvent très seules devant leur décision, et, comme pour les couples, le taux d’échecs est encore élevé ; c’est cher, long, difficile sur beaucoup d’aspects. L’entourage est encore trop souvent jugeant, négatif, et des questions circulent, pourquoi elle n’a pas pu (su) garder un homme ? « tu crois qu’elle est homosexuelle »? « Tu sais, ele est toujours avec son amie Unetelle »….. »d’ailleurs elle n’a que des amiEs, on ne l’a jamais vue avec un copain »….
Au secours, non, ne faites pas de suppositions, vous ne savez pas tout !
Je voudrais dire ici que pour moi la douleur a été telle, (elle m’a véritablement gaché une grande partie de la vie) que je ne serai jamais jugeante sur la façon de devenir mère.
Malgré tout, si j’étais en situation de me reposer la question actuellement, avec tous ces progrès incroyables, certes la tentation serait forte d’utiliser ces miracles de la médecine, mais je pense que je ne le ferais pas, je n’ai personnellement jamais pu imaginer mon enfant sans un père présent et qui soit si possible mon compagnon, mon amour. Je ne comprend pas la notion de « droit à l’enfant » que certains avancent parfois.
On peut m’opposer qu’un couple sur 2 divorcera, que beaucoup de pères sont tellement absents, etc..mais j’ai trop vu la douleur de ceux qui ne connaissent pas l’un de leurs parents, leur impression perpétuelle de ne pas être complet, de ne pas être comme les autres. Je n’aurais pas voulu que mon enfant connaisse cette douleur par ma décision.
Il n’y a pas si longtemps dans nos pays, et encore trop souvent dans le monde, les enfants dits « bâtards », nés hors mariage, étaient stygmatisés, mis à part. Heureusement, l’évolution des mentalités va si vite que ces situations, en devenant banales pour la société, le seront pour l’enfant aussi. C’est déjà le cas pour beaucoup d’enfants de couples homosexuels, bien acceptés par leur entourage, ce qui aurait paru impossible il y a seulement quelques dizaines d’années.
Pour finir, avez-vous déjà pensé aussi, que … quand on n’est pas mère, on ne devient pas non plus grand-mère ? C’est la double peine ! et toc ! comme si ça ne suffisait pas !
Le message que je voudrais vous faire passer est de rester vous-mêmes devant les femmes de votre entourage qui ne sont pas mères, de dire votre bonheur de l’être, mais de savoir être discrète et attentive à celles qui n’ont pas cette chance ! Et de faire honneur à leur combat, à leurs années d’espoirs d’attente et de patience….quelle force !
Je dédie donc cet article à mes soeurs en « manque d’enfants », battez-vous tant que vous le pouvez, essayez de lutter le mieux possible contre les angoisses de l’attente et la tristesse de l’échec, peut-être osez en parler un peu plus ?
Et pour celles qui ont connu le décès, impensable, de leur enfant, soyez sûre que j’aimerais pouvoir vous envoyer, vous remplir de tout mon amour « fraternel » ( il n’y a pas d’adjectif féminin pour la sororité ? sororal ?) et de toute mon énergie ! Si vous arrivez à continuer vaillament votre chemin malgré tout, vous êtes vraiment d’une force incroyable ! Respect !
En tous cas, quelquesoit la raison de votre manque d’enfant, vous êtes les bienvenues sur ce blog !
N’oubliez pas de me dire en commentaire votre ressenti sur ce sujet ? Avez-vous vécu cette angoisse, cette tristesse à un moment ou un autre ? Connaissez-vous des femmes qui vivent cette situation ? Merci de partager cet article avec celles que ça pourrait toucher ou intéresser,
A bientôt,
Martine de Vigan